RAJAA STITOU
Rajaa Stitou est psychanalyste à Montpellier, directrice de recherche en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université Paul Valéry à Montpellier 3.
THÉMATIQUES DE RECHERCHE.
Clinique du sujet dans son articulation au lien social, à travers les mutations dans la culture et le nouveau malaise dans la civilisation. Modes de traitement et dispositif d’écoute face :
– aux nouvelles formes expressives de la souffrance (nouvelles pathologies, nouvelles formes de symptômes chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte) mettant en jeu le corps, le féminin, le sexuel, le rapport à l’autre et à l’objet ;
– à la plurilangue, la clinique du traumatisme, les extrêmes du lien social (violence, guerre, nouvelles formes de totalitarisme et d’intégrismes, y compris religieux).
Résonances subjectives de l’exil. Épreuves contemporaines de l’étranger et du différent (toutes les formes de différences, y compris la différence des sexes), dans leur versant créatif et à travers les incidences cliniques.
La visée est de repenser et d’approfondir, aux plans clinique et conceptuel, ce qui distingue et articule le psychisme et la culture, le sujet et le collectif, ainsi que les modes de nouage contemporains du lien social et leur rapport aux nouveaux modes expressifs du symptôme et à l’actualité de la psychopathologie.
Méthodologie: analyse discursive.
L’EXIL COMME ÉPREUVE DE L’ÉTRANGER POUR UNE ANTHROPOLOGIE DU DÉPLACEMENT.
(Thèse de doctorat en psychologie soutenue en 1999 à Montpellier3)
Le cheminement entrepris dans cette thèse, qui s’articule à ma pratique clinique a consisté à poser un regard autre autour de la contemporanéité de l’exil à partir des questions, de plus en plus complexes et évolutives dans leur forme, qui se posent à la clinique du fait du déplacements des hommes et des repères dans lesquels ils logent leurs valeurs. – mettre en travail les outils conceptuels qui permettent de penser le rapport de l’universel et du singulier, inscrits dans le monde de l’histoire et dans le champ de la culture, a l’articulation du sujet et du social sans rejeter leur dépendance a cette autre scène qu’est l’inconscient, sans se figer dans des techniques saturantes dans une époque ou l’ethnique et le culturel tiennent lieu de culte. – questionner le rapport à l’étranger et les points cruciaux qu’il soulève, tant du cote de la personne provenant d’une autre culture que du cote de l’autochtone à partir d’une clinique qui prend en compte les résonances subjectives contemporaines et qui, tout en se distanciant d’une conception statique de la psyché et de la culture, reste attentive à ce qui se répète au-delà du connu en de nouveaux contextes.
EXTRAITS:
L’HABITER OU LA NOSTALGIE DU LIEU PERDU.
Habiter n’est pas seulement occuper l’espace comme nous le laisserait entendre cette conception technocratique de l’architecture et de l’aménagement urbain. Dans un texte intitulé “Bâtir, habiter, penser”, M. Heidegger (1958) se livre à une analyse de “l’habiter” fondée sur l’étymologie allemande du mot “Bauen”(habiter). Il oppose loger et habiter ainsi que construire et bâtir. “Bâtir est déjà de
lui même, habiter”, nous dit-il, rapprochant l’être de l’habiter de celui de bâtir. Leur étymologie dans le haut allemand rejoint le verbe être (ich bin: je suis). L’homme, selon Heidegger n’est tel que pour autant qu’il habite, bien que le sens propre de ce mot se soit affadi derrière un ensemble de significations. Habiter renvoie en fait à un autre terme “Wumian” qui signifie demeurer en paix. Demeurer en paix dans ce qui nous est proche, dans ce qui est libre, “dans ce qui ménage toute chose dans son être” (ibid.), dans ce qui permet à l’homme de vivre au milieu des éléments, des choses en préservant leur être. Le rapport de l’homme à l’espace, à travers des lieux réside dans l’habitation, c’est à dire dans le fait de pouvoir inscrire, comme dans les maisons paysannes de la forêt Noire l’existence humaine dans ses moments cruciaux, la naissance, la mort, dans un espace qui leur donne sens. La conception Heideggerienne de l’habiter, à savoir ce qui rassemble, ce qui procure paix et sérénité, peut être rapprochée de cette aire d’expérience, cette aire transitionnelle entre l’enfant et sa mère, aire de jeu, lieu d’une expérience culturelle, définit par Winnicott (1971). Pour l’auteur, ce serait dans ce lieu que nous nous situons lorsque nous ne sommes ni dedans, dans nos pensées, ni dehors, auprès d’un objet. C’est dans ce lieu que le sujet peut s’inscrire dans un rapport au monde et aux choses. Ce lieu qui évoque souvent le “natal” n’est pas définissable comme une simple localité ou un territoire. “Il est ce lieu symbolique que personne ne peut ni me voler ni m’acheter. Il est une pure représentation que l’on emporte avec soi et que beaucoup de familles concrétisent dans un meuble, un tableau, un langage”
écrit B. Salignon (1992). Mais il relève avant tout de l’expérience, il correspond à l’intime. C’est ce dans quoi le sujet peut se rassembler, se ressourcer pour poursuivre sa route.
L’HABITER OU LE SENTIMENT DE CHEZ SOI.
Il s’agit ici d’une contribution à un travail de réflexion clinique sur les incidences de l’habiter et du sentiment de chez soi. Ces incidences à travers lesquelles se manifeste tout un bouleversement de l’unité illusoire mais nécessaire dans laquelle se loge l’identité, s’exacerbe en terre étrangère au point d’exposer certains sujets expatriés à des risques de défaillance qui les empêchent d’investir de nouveaux liens, de se soutenir dans le monde. L’expérience clinique nous montre que l’habiter comme l’exil ne sont pas réductibles aux seules considérations territoriales et ethniques. Ils concernent chaque sujet dans son rapport à l’inconnu de son origine, de son appartenance et de son
destin. L’expatriation ne fait que réactualiser cette épreuve de l’inconnu que tout un chacun peut élaborer en fonction de son histoire. Elle nous amène par ailleurs à reconsidérer la difficulté de penser l’articulation entre le sujet et le collectif, entre les processus psychique et le fait culturel.